Printemps 1292. Deux équipages accostent sur l'île de Quéménès, au large du Finistère. Ils doivent se ravitailler en eau. Mais qui à le droit de s'approvisionner en premier ? Une dispute éclate entre un équipage bayonnais et un équipage normand. Un normand est tué. Un déchainement de violence va s'en suivre, qui va mener à une nouvelle guerre entre la France et l'Angleterre.
S'en suit un déchaînement de violence en mer. Les sources sur le sujet sont principalement anglaises, et accentuent, voir exagèrent, les violences des normands. Il est à parier que les anglo-bayonnais se soient comportés de la même manière, surtout au vu des nombreuses sources attestant des actes de piraterie de la part des marins anglais au début du XIVe siècle.
Les violences continuent, notamment entre Pâque et l'Ascension 1293. Les normands remontent la Charente, qui sépare la Saintonge en deux : le nord français et le sud anglais, et attaquent et pillent la rive sud. Les environs de Saint-Agnant, de Saint-Nazaire-sur-Charente et de Soubise sont particulièrement touchés, en particulier les églises. Celle de Saint-Nazaire-sur-Charente est pillée à cinq reprises par les normands. On connais le nom de certains pillards : Gaufridus Gossa (propriétaire du navire La Rose de Leure), Godefredus Cormean et Nicolas de la Mere, de Barfleur. Les objets de valeur sont systématiquement volés, ainsi que les denrées alimentaires. Les tonneaux de vins et les moulins sont détruits, certaines femmes violées. Les locaux résistent parfois et réussissent même à repousser les pillards. Parce que les normands les évitent, les affrontements armés sont rares, de même que les blessés et plus encore les morts.
Les anglo-bayonnais décident de se faire justice. Ils assemblent une large flotte à Porthmouth et font voile le 24 avril 1293 vers la Gascogne. Des vents contraires les bloquent pour un moment vers la pointe Saint-Mathieu, ou est-ce là un prétexte pour se tenir en embuscade ? Une flotte normande et flamande, chargée de vins (mais toujours pas trop, au cas où il faille combattre) arrivent. Les anglais attaquent. La bataille naval au large de Saint-Mathieu se termine avec environ 200 navires normands et flamands coulés.
Les marins anglais adressent une pétition au roi Edouard I, listant « Les grevances et damages queux les Normauns ount faits a vos gens de Baione, d'Irlande et d'aillours de la marine d'Engleterre » et justifiant leurs vengeances. Ils menacent même le monarque : en cas d'extradition pour être jugé en France, ou de condamnation par la justice anglaise, ils quitteront le royaume avec leurs familles et deviendront des pirates.
Le conflit devient hautement politique lorsque, après la destruction de la flotte normande au large de Saint-Mathieu, les anglo-bayonnais attaquent La Rochelle. Sauf que La Rochelle fait parti du royaume de France depuis 1271. Philippe le Bel demande à ce que les responsables lui soient remis pour être jugés en France. Refus des concernés (qui rappellent que Philippe n'a pas pu faire cesser les violences commises par les normands) et Edouard I fait probablement la sourde oreille. Philippe menace de saisir la Guyenne. La menace provoque des violences : à Bordeaux et Bourg, des normands sont violentés et tués et à Fronsac, des officiers des douanes français décapités. Edouard I n'ayant rien fait pour empêcher ces crimes, il est inculpé au Parlement de Paris en janvier 1294 pour avoir failli à ses obligations féodales.
Tout s'emballe vite ensuite. Edouard envoie son frère Edmond de Lancastre pour négocier, et les anglais acceptent de fournir des otages et une occupations temporaires de 40 jours de la Guyenne par les troupes françaises. Mais celles-ci restent plus longtemps que prévu, et Philippe a en fait maintenu la citation à comparaitre d'Edouard I devant le Parlement de Paris. Manquant de temps et d'un sauf-conduit, celui-ci ne peut se présenter à temps. Il est condamné le 19 mai 1294 et la Guyenne est de fait confisquée par le roi de France. Edouard renonce à son hommage à Philippe le 24 juin.
En 1292, la Guyenne est toujours contrôlée par le roi d'Angleterre qui doit rendre hommage, en tant que vassal, au roi de France pour cette possession. Depuis l'explosion de l'export du vin vers 1280, le commerce maritime est extrêmement important entre la Guyenne avec le port de Bordeaux et le nord de l'Europe avec notamment le sud de l'Angleterre (les « Cinq-Ports », une confédération créée par les ports de Douvres, Hastings, Hythe, Romney et Sandwich), la Normandie et la Flandre.
Situation du royaume de France et d'Angleterre vers 1294. La Guyenne est sous contrôle du roi d'Angleterre. |
Le trajet entre Bordeaux et le sud de l'Angleterre pouvait prendre entre 7 et 30 jours en fonction de la météo et de la mer. Dans ce contexte (on parle de navires du XIIIe siècles, qui n'ont pas une grande capacité de transport), les équipages ont besoin de s'arrêter pour se réapprovisionner en vivres et en eau et faire face à de possibles contretemps. Le trajet le plus sûr consistait à passer par les raz de Bretagne, au large de la Pointe Saint-Mathieu et de la Pointe du Raz. Les comtes du Léon vont très rapidement s'apercevoir de l'intérêt de contrôler ces passages, et mettent en place des droits de péages.
Quand les conditions météorologiques le permettent, les marins tentent alors de contourner les raz, notamment la Pointe Saint-Mathieu, pour se mettre hors de portée des receveurs de taxe basés au Conquet. Mais l'approvisionnement étant toujours important, un puit d'eau douce situé sur l'ile de Quéménès attire les convoitises. Si l'équipage arrive au bon moment et à fin de flot (en gros, fin de la marée montante), il peut repartir six heure plus tard en début de flot (début de la marée montante) avec une nouvelle réserve d'eau tout en ayant échappé aux collecteurs. Cela laisse quelques heures pour décharger les tonneaux ou autres contenants, les remplir d'eau, et les recharger à bord. Alors quand plusieurs équipages arrivent en même temps au puit, la question de qui tire l'eau en premier est primordiale.
En rouge, Le Conquet. En bleu, l'île de Quéménès et la Pointe Saint Mathieu, qui verra une bataille navale importante entre normands et anglo-bayonnais. |
C'est probablement ce qu'il s'est passé lors d'un jour du carême 1292. Un équipage normand et un bayonnais se disputent pour savoir qui pourra tirer de l'eau avant l'autre. Une bagarre éclate. Un normand est tué. Les normands tentent de se venger et poursuivent les bayonnais qui réussissent à s'échapper. Ce n'est pas la première ni la dernière fois qu'un conflit éclate entre les anglais, les bayonnais et les normands. Mais ce fait-divers va mettre fin à des décennies de paix entre la France et l'Angleterre.
S'en suit un déchaînement de violence en mer. Les sources sur le sujet sont principalement anglaises, et accentuent, voir exagèrent, les violences des normands. Il est à parier que les anglo-bayonnais se soient comportés de la même manière, surtout au vu des nombreuses sources attestant des actes de piraterie de la part des marins anglais au début du XIVe siècle.
Portulan (carte de navigation) des côtes françaises, dessinée vers 1313 par Pietro Vesconte. |
L'équipage normand attaque par vengeance un navire bayonnais « et après assaillèrent la neef Piers de Nounay de Bayone, et coupèrent le mast, et robèrent la neef, et les homes ocistrent ». Sur la route vers Bordeaux, ils coulent 4 navires bayonnais à Rotan-sur-Gironde. Le connétable de Bordeaux rassemble les marins normands, anglais, irlandais, bayonnais et bretons en leur faisant promettre de s'abstenir de violences futures.
Un convoi anglais et bayonnais sort de Bordeaux, en groupe de 4 à 6 navires, pour être finalement poursuivi par une flotte de 80 navires normands, chargés non seulement de vin, mais aussi de tourelles de guerre et de bannières, signalant leur volonté d'en découdre. Les normands « trovèrent en un lieu que est appellé la Pertuse de Antioche une neef de Bayone chargée de dras et des autres marchandises venant de Flaundres, ladite neef assailèrent et pristrent les mariners, et les marchans de Burdeaux et de Bayone ocistrent ».
Un convoi anglais et bayonnais sort de Bordeaux, en groupe de 4 à 6 navires, pour être finalement poursuivi par une flotte de 80 navires normands, chargés non seulement de vin, mais aussi de tourelles de guerre et de bannières, signalant leur volonté d'en découdre. Les normands « trovèrent en un lieu que est appellé la Pertuse de Antioche une neef de Bayone chargée de dras et des autres marchandises venant de Flaundres, ladite neef assailèrent et pristrent les mariners, et les marchans de Burdeaux et de Bayone ocistrent ».
Les violences ne s'arrêtent plus. Plusieurs navires anglais, irlandais et bayonnais sont coulés et leurs équipages tués par les normands durant le printemps et l'été 1292.
L'équipage et les pèlerins de plusieurs navires de Winchelsea et Hasting sont capturés à Dieppe, en tout une quarantaine de personne. On leur coupe pieds et mains avant de les décapiter. Un autre navire, irlandais, qui venait de vendre du cuire et de la laine à Rouen pour 500 livres, fut attaqué et capturé devant Cherbourg. Les normands tuent les marins et pendent à la vergue de leur navire un garçon avant de rentrer au port de Caen.
Les tentatives de faire cesser les violences ne mènent à rien. L'année suivante, en 1293, un convoi anglais est attaqué par les normands qui les attendaient au large de la Bretagne. Pas moins de 70 navires anglais sont coulés, et leurs équipages massacrés. De même, « à seint Malou de Lyle […] Normans pristrent les deus neefs et les biens robbèrent et pristrent LXX homes, et les uns pendirent et les autres escorchèrent et les pendirent par leurs quirs ». Au sud de la Bretagne, « une neef de Santwis, qi est appele le Godier, fu chargee des vins de la Rochele et vint en l'ancresoun de Glenaunt; là vindrent V neefs de Normandie et pristrent l'avaunt dite neef ove tous les vins, et ocistrent XVI homes dé vostre port de Santwis. »
L'équipage et les pèlerins de plusieurs navires de Winchelsea et Hasting sont capturés à Dieppe, en tout une quarantaine de personne. On leur coupe pieds et mains avant de les décapiter. Un autre navire, irlandais, qui venait de vendre du cuire et de la laine à Rouen pour 500 livres, fut attaqué et capturé devant Cherbourg. Les normands tuent les marins et pendent à la vergue de leur navire un garçon avant de rentrer au port de Caen.
« En meisme l'an, une neef d'Irlande de la ville de Ros vint chargée des quirs et des leynes à la ville de Roan en Normandie, et le mestre de la neef vendi en meisme la ville les quirs et les leynes pur V cens livres; et quant il sigla vers son pays, Normauns li assaillerent devant Cherebourgh et la neef pristrent, et ocistrent les mariners, et un garsoun pendirent à la verge del tref et les V cens- livres pristrent, et menèrent la neef en la havene de Caan, à tout le garsoun pendu. »Pendant l'été et l'année à venir, Philippe le Bel, roi de France et Edouard I, roi d'Angleterre, ordonnent à plusieurs reprises que les violences cessent. Le sentiment d'insécurité est réel chez les anglo-bayonnais qui chargent moins leurs navires afin de pouvoir être plus léger et s'échapper plus rapidement.
Les tentatives de faire cesser les violences ne mènent à rien. L'année suivante, en 1293, un convoi anglais est attaqué par les normands qui les attendaient au large de la Bretagne. Pas moins de 70 navires anglais sont coulés, et leurs équipages massacrés. De même, « à seint Malou de Lyle […] Normans pristrent les deus neefs et les biens robbèrent et pristrent LXX homes, et les uns pendirent et les autres escorchèrent et les pendirent par leurs quirs ». Au sud de la Bretagne, « une neef de Santwis, qi est appele le Godier, fu chargee des vins de la Rochele et vint en l'ancresoun de Glenaunt; là vindrent V neefs de Normandie et pristrent l'avaunt dite neef ove tous les vins, et ocistrent XVI homes dé vostre port de Santwis. »
Les violences continuent, notamment entre Pâque et l'Ascension 1293. Les normands remontent la Charente, qui sépare la Saintonge en deux : le nord français et le sud anglais, et attaquent et pillent la rive sud. Les environs de Saint-Agnant, de Saint-Nazaire-sur-Charente et de Soubise sont particulièrement touchés, en particulier les églises. Celle de Saint-Nazaire-sur-Charente est pillée à cinq reprises par les normands. On connais le nom de certains pillards : Gaufridus Gossa (propriétaire du navire La Rose de Leure), Godefredus Cormean et Nicolas de la Mere, de Barfleur. Les objets de valeur sont systématiquement volés, ainsi que les denrées alimentaires. Les tonneaux de vins et les moulins sont détruits, certaines femmes violées. Les locaux résistent parfois et réussissent même à repousser les pillards. Parce que les normands les évitent, les affrontements armés sont rares, de même que les blessés et plus encore les morts.
Scène de pillage, enluminure du XIVe siècle. |
Les anglais et bayonnais sont systématiquement recherchés pendant cette période. Un épisode d'une grande violence illustre la haine que les normands éprouvent pour ceux-ci. Deux navires originaires de Navarre sont pris pour des navires bayonnais et sont attaqués à Saint-Savinien. Les navires sont pillés, l'équipage tué voir découpé. Un normand pique les entrailles d'un des marchands au bout de sa lance et commence à crier en ville « Qui veut acheter des tripes de Bayonne ? ».
Les anglo-bayonnais décident de se faire justice. Ils assemblent une large flotte à Porthmouth et font voile le 24 avril 1293 vers la Gascogne. Des vents contraires les bloquent pour un moment vers la pointe Saint-Mathieu, ou est-ce là un prétexte pour se tenir en embuscade ? Une flotte normande et flamande, chargée de vins (mais toujours pas trop, au cas où il faille combattre) arrivent. Les anglais attaquent. La bataille naval au large de Saint-Mathieu se termine avec environ 200 navires normands et flamands coulés.
Les marins anglais adressent une pétition au roi Edouard I, listant « Les grevances et damages queux les Normauns ount faits a vos gens de Baione, d'Irlande et d'aillours de la marine d'Engleterre » et justifiant leurs vengeances. Ils menacent même le monarque : en cas d'extradition pour être jugé en France, ou de condamnation par la justice anglaise, ils quitteront le royaume avec leurs familles et deviendront des pirates.
Hommage d'Edouard Ier, roi d'Angleterre, à Philippe le Bel, roi de France en 1286. Edouard va renoncer à cet hommage en 1294 à la suite de sa condamnation |
Le conflit devient hautement politique lorsque, après la destruction de la flotte normande au large de Saint-Mathieu, les anglo-bayonnais attaquent La Rochelle. Sauf que La Rochelle fait parti du royaume de France depuis 1271. Philippe le Bel demande à ce que les responsables lui soient remis pour être jugés en France. Refus des concernés (qui rappellent que Philippe n'a pas pu faire cesser les violences commises par les normands) et Edouard I fait probablement la sourde oreille. Philippe menace de saisir la Guyenne. La menace provoque des violences : à Bordeaux et Bourg, des normands sont violentés et tués et à Fronsac, des officiers des douanes français décapités. Edouard I n'ayant rien fait pour empêcher ces crimes, il est inculpé au Parlement de Paris en janvier 1294 pour avoir failli à ses obligations féodales.
Tout s'emballe vite ensuite. Edouard envoie son frère Edmond de Lancastre pour négocier, et les anglais acceptent de fournir des otages et une occupations temporaires de 40 jours de la Guyenne par les troupes françaises. Mais celles-ci restent plus longtemps que prévu, et Philippe a en fait maintenu la citation à comparaitre d'Edouard I devant le Parlement de Paris. Manquant de temps et d'un sauf-conduit, celui-ci ne peut se présenter à temps. Il est condamné le 19 mai 1294 et la Guyenne est de fait confisquée par le roi de France. Edouard renonce à son hommage à Philippe le 24 juin.
La guerre de Guyenne vient de commencer.
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La majeur partie de cet article a pu être réalisée grâce au travail de Thomas Heebøll-Holm et de son superbe ouvrage: "Ports, Piracy and Maritime War: Piracy in the English Channel and the Atlantic, c. 1280-c. 1330" dont je recommande vivement la lecture pour plus de contexte et de profondeur sur le sujet.
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