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Combat de Vibraye

8 janvier 1871, 11h du matin, Vibraye, en Sarthe. Le général Henri de Cathelineau et plusieurs de ses volontaires se dirigent vers l'église pour y suivre la messe. Au même moment, des cavaliers prussiens surprennent une jeune sentinelle française. Le combat qui va suivre sera un des derniers pour Cathelineau et ses hommes, épuisés par le froid et le manque de nourriture.

Francs-tireurs français au combat en 1870
Francs-tireurs au combat, par Maurice Pallandre.

Depuis le 25 décembre au soir, le corps Cathelineau, constitués de volontaires (principalement de l'Ouest), de francs-tireurs divers et d'un bataillon de mobiles de la Dordogne, est arrivé à Vibraye avec pour mission d'éclairer les mouvements ennemis dans le Perche, mais également au besoin d'appuyer les colonnes mobiles que Chanzy lance à l'offensive: le général Rousseau le long de l'Huisne vers Nogent-le-Rotrou, et le général Jouffroy vers Vendôme. La position se trouve également dans une région parcourue par l'ennemi, qui s'y ravitaille à coup de réquisitions, menaçant les municipalités qui montrent la moindre résistance. Non loin, à Saint-Calais, le 25 décembre, une colonne prussienne entre dans la ville, prend en otage la municipalité et exige 15.000 francs sous la menace de bombardements, sous le prétexte que deux cuirassiers sont portés disparus depuis le 23, probablement tués ou capturés par des francs-tireurs.

Photographie d'un hussard prussien
Photo d'un hussard prussien du Hussaren-Regiment Nr.4, vers 1865. Photo du site Hussards Photos.

Arrivés à Vibraye, les hommes de Cathelineau sont accueillis avec fatalisme. En novembre déjà, les habitants avaient dû subir l'occupation prussienne. Les vivres sont donc rares, les esprits fatigués. Jugeant sa position peu pratique pour ses troupes et ses bagages, Cathelineau s'avance vers Montmirail le 28 : le village, placée sur une colline, commande les alentours. Le 30, un détachement de cavaliers du Hussaren-Regiment Nr. 4, en reconnaissance, se fait surprendre dans la forêt de Montmirail à 4h30 du matin par les francs-tireurs. Ces derniers perdent un tué, Aubin Lavaud, et deux blessés: Lestrade et le lieutenant Max de Tourcheboeuf-Beaumont (ce dernier mourra de sa blessure le 18 janvier 1871). Les prussiens perdent 1 officier blessé (Second-lieutenant Graf zu Dohna) et trois hommes disparus (Rudolf Vorhammer, de Peterwitz; Ferdinan Liebster, de Goebel et Karl Schneider, de Merschwitz), sûrement morts, ainsi qu'un « beau cheval, malheureusement transpercé de balles » selon Cathelineau (le cheval sera mangé. Selon le soldat Louis de Fontenay, il était excellent).

Tombe Aubin Lavaud mobile de Dordogne au corps Cathelineau tué lors de la guerre de 1870 près du Mans
Tombe du mobile Aubin Lavaud, tué dans l'accrochage avec des hussards prussiens. Enterré au cimetière du Plessis-Dorin. Photo de l'auteur.

Cathelineau se retrouve entre l'avance de la colonne Rousseau et celle de Jouffroy. On lui demande assistance des deux cotés. Impossible pour Cathelineau qui ne possède pas assez d'hommes et presque pas de cavaliers, et doit de plus occuper le centre de la position pour éviter toute infiltration ennemie.  Son point fort est la position de la Verrerie, où 300 hommes y sont postés. Les journées s'enchaînent entre patrouilles et ravitaillement. Il y a quelques accrochages avec des cavaliers prussiens qui fourragent la campagne, notamment le bétail.

Mais la situation se dégrade. Les prussiens sont maintenant sortis des environs de Chartres en direction du Mans. Le général Rousseau doit faire machine arrière. La journée du 7 « fut affreuse » : Saint-Calais, sur le flanc droit de Cathelineau, est occupé, et il n'y a plus aucune nouvelle du général Rousseau, ni de l'état-major. Les prussiens s'avancent vers Montmirail. Cathelineau met ses hommes en positions, abrités derrière des talus. Il réserve le bataillon de la Dordogne pour « résister à la baïonnette ». Mais l'attaque ne vient pas, malgré les aller-retour incessant des cavaliers allemands, qui sondent les environs en éclaireurs. La nuit venue, Cathelineau est certain que lui arrive dessus un corps d'armée important. La position de la Verrerie est abandonnée, c'est la retraite vers Vibraye.

Mouvements prussiens 8 et 9 janvier 1871, bataille du Mans
Mouvements des colonnes prussiennes le 8 (rouge) et 9 (orange) janvier 1871. Le Détachement Rauch se trouve le plus à droite.

Les hommes de Cathelineau sont épuisés après cette mauvaise nuit, et les conditions météorologiques difficiles. La plupart des hommes et de bagages sont logés dans les granges et bâtiments de la ferme La Justice. Des sentinelles sont postées en avant du village de Vibraye. Il est 11h le matin du 8 janvier, Cathelineau et certains de ses hommes se dirigent vers l'église pour y entendre la messe.

Franc-tireur de Cathelineau en mars 1870
Franc-tireur volontaire de Cathelineau en mars 1871.

Au même moment, des cavaliers prussiens tombent sur une sentinelle, âgée de 17 ou 18 ans, et l'abattent d'un coup de revolver dans la tête (peut-être le corps retrouvés en face de la cour de la ferme du Marché Crevé). L'alarme est donnée. Cathelineau positionne ses hommes. Une compagnie du bataillon de la Dordogne, du capitaine Philippari, est placé sur le pont en appui des sentinelles des routes de Montmirail et de Mondoubleau qui s'y réunissent. La capitaine Caillard et trois compagnies de la Dordogne traversent la Braye au nord pour sécuriser une passerelle. Enfin, le commandant Marty est envoyé au sud, sur la route de St Calais, afin d'éviter une mauvaise surprise.

Combat de Vibraye entre prussiens et francs-tireurs de Cathelineau janvier 1871
Combats de Vibraye et emplacement probable des unités. Le capitaine Caillard était peut-être plus au nord encore. Sur chaque flanc, les hommes du 1/75 tentent de trouver un passage, en vain.

En face, arrive le Détachement Rauch, composé du 1er bataillon du 75e régiment (1/75), et du 2e du 90e régiment (2/90), en plus de cavaliers et de chasseurs à pied. Le détachement couvre l'aile gauche du gros du IX. Armeekorps qui s'avance vers Nogent-le-Rotrou et La Ferté-Bernard. Le passage à travers Vibraye n'est possible que par un pont au dessus de la Braye, légèrement gelée. Le 2/90, à la tête de la colonne, se déploie sur les hauteurs à l'est de la ville, de chaque coté de la route. La fusillade éclate. Les français sont faiblement protégés par le léger parapet du pont. Le sergent Jacques Brousse est gravement blessé à la tête et meurt en quelques instants. Le capitaine Paul Caillard est blessé, mais dans le feu de l'action, ne s'en rendra compte que plus tard. Du coté allemand, la 1ere et 4e compagnie du 1/75 reçoivent l'ordre de tenter de trouver un passage vers le nord, en face du château de Vibraye. Cela se révèle impossible, et les deux compagnies s'engagent dans une fusillade avec l'autre rive. Vers le sud, même constat pour les 2e et 3e compagnie. 

Après avoir tenu un moment, Cathelineau estime que ses bagages sont assez loin pour se permettre de se retirer. L'ordre est donné. Les français abandonnent peu à peu leurs positions. Le retrait permet aux hommes du 2/90 de finalement prendre le pont. Immédiatement suivi par la 2e et 3e compagnie du 1/75 qui bifurquent sur la gauche pour couper la route vers Berfay.

Cathelineau admet avoir perdu une vingtaine d'hommes, mais dit que les prussiens ont subi 90 tués dans l'attaque, et qu'ils n'auraient pas osé pénétrer dans Vibraye avant la soirée. Les allemands, eux, déplorent simplement deux blessés, et notent la capture d'une trentaine de prisonniers. Cathelineau exagère l'intensité du combat. L'histoire régimentaire du 75e régiment précise même, un peu rapidement, que les français ont abandonné le secteur de la Braye sans vraiment combattre.

Combat de Vibraye, localisation des corps retrouvés
Localisation des corps français (croix blanches) relevés après le combat de Vibraye.

Les hommes de Cathelineau retraitent vers Connerré, puis Montfort. Quelques jours plus tard, c'est la défaite du Mans puis l'armistice. Vibraye sera parmi les derniers combats des hommes de Cathelineau dans cette guerre.
Les prussiens prennent leurs quartiers dans Vibraye et Berfay. Si ces derniers ont eu l'impression que les français refusaient le combat aujourd'hui, ils savent que plus ils progressent vers Le Mans, plus la résistance se fera acharnée. Le lendemain, c'est le combat de Thorigné.

 gauche, tombe commune de 7 français tués dans le combat.  droite, tombe d'un soldat allemand mort des ses blessures en décembre 1870.

Le registre paroissial de Vibraye a gardé le témoignage des combats. 

* un franc-tireur du détachement commandé par Monsieur de Cathelineau, paraissant âgé de dix huit ans qu'ils ont entendu appeler du surnom de Petit Courtaud est mort en face la cour de la ferme dite le Marché crevé en cette commune des suites d'un coup de feu dans la tête, sans autre renseignements.

* le 8 janvier, 11h du matin, Julien Guiet âgé de quarante sept ans, peintre, domicilié à Vibraye, né à Yvré-L'Évêque, époux de Anaïs Anne Françoise Legay, cafetière, domiciliée à Vibraye, est mort Rue de la rivière en cette commune (victime civile. Où a-t-il cherché à aider les francs-tireurs ?).

* Jacque Brousse, sergent du corps des mobiles de Dordogne commandé par Monsieur de Cathelineau, domicilié à Bergerac, est mort des suites d'un coup de feu à la tête, Rue de la rivière en cette commune.

* le 8 janvier 1871 vers 11h du matin, un garde mobile du corps commandé par Monsieur de Cathelineau paraissant âgé de 23 ans, cheveu brun, barbe brune, nez pointu, visage long, porteur de deux lettres pour parvenir l'une à Monsieur Jean Calles? à la Gacherie, l'autre à Monsieur Migou sans autre renseignements est mort Rue de la rivière en cette commune des suites d'un coup de feu à la poitrine.

* 8 janvier 1871 vers 11h30 un caporal de mobiles commandé par Monsieur de Cathelineau est mort dans le pré dit de la Borde-aux-Lièvres, des suites d'un coup de feu dans la tête, sans autre renseignements.

* 8 janvier 1871 vers 11h30 du matin, un garde mobile du corps commandé par Monsieur de Cathelineau est mort dans le pré de la Borde aux Lièvres en cette commune des suites d'un coup de feu à la poitrine, sans autre renseignements.

* un garde mobile du corps commandé par Monsieur de Cathelineau, supposé se nommer Pieupeyroux, paraissant âgé de 24 ans, de taille moyenne, aux cheveux brun, barbe châtaine ardente, front ordinaire, visage ovale, teint clair, porteur d'une lettre en date de Ligueux du 15 décembre 1870, signé Raymond Pieupeyroux, mort le 8 janvier 1871 vers 11h du matin en face du pré dite de la Borde aux Lièvres, sans autres renseignements

Mise à jour du 18 décembre: ajout du nom complet et du devenir du lieutenant De Beaumont.

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