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Cimetière français de Sébastopol


Cimetière militaire français de Sébastopol
Illustration du cimetière français de Sébastopol avant sa destruction.
Source: I. Shipilin, 1992.
Mars 1856. Fin de la guerre de Crimée. On estime à 95.000 le nombre de français morts lors de cette campagne militaire, la grande majorité de maladie. Plusieurs lieux d’inhumations existent alors pour ces hommes, mais le Second Empire français, conscient du coût de l’entretien de plusieurs cimetières, décide de créer une nécropole unique, près du village de Kalfa, non loin de l’emplacement de l’ancien quartier général des forces françaises.

Sebastopol (en rouge) et le quartier général français (en bleu au centre) près duquel va se construire le cimetière.
Egalement en bleu (gauche) le quartier de Kamiesh, dont il sera question plus loin.

Entrée du cimetière, vers les années 1900. Source: Ivanov Valery Borisovich

En 1873, un cimetière y est donc construit. Il se compose d’un carré d’un hectare fermé de murs en pierre et d’un portail en fer forgé. A l’entrée, sur la gauche, des bâtiments dont le logement du gardien, une petite maison avec étage et une petite cour avec des toilettes. Au centre de la nécropole, un large mausolée dont les murs extérieurs étaient recouverts de larges plaques en marbre portant le nom des officiers supérieurs morts lors de la campagne de Crimée.

Le Mausolée central, lieu d'inhumation des officiers supérieurs.
Source: Ivanov Valery Borisovich

Le cimetière tel que présenté dans "L'Univers illustré" en 1870.

Enfin, autour du mausolée, le long des murs, 17 cryptes regroupaient les soldats français, réunis en divisions ou brigades dans des fosses communes. Sur les murs extérieurs des cryptes, des plaques de marbre annonçaient les officiers enterrés ou les unités. Il fallait descendre quelques marches une fois passé une petite grille pour arriver à l’intérieur de chaque crypte. En face de l’entrée, une niche murée abritait les ossements des soldats français.


Cartes postales et photos du début du XXe siècle.

Le tout était bien arboré en acacias, en arbres fruitiers, avec des allées gravillonnées et quelques parterres de fleurs. Un endroit calme, serein, parfait pour la ballade, le souvenir et le recueillement.
L’endroit devait être agréable, puisqu’à sa retraite, le vice-consul de France à Sébastopol, Louis-Antoine Gay, décide de travailler comme gardien du cimetière. Il le restera jusqu’à sa mort en 1915.



Tout paraît parfait, mais pourtant, en 1888 déjà, on se plaignait de l'état d'abandon du cimetière. Ainsi, au Petit Parisien du 6 juin 1888 se fait échos d'une plainte d'un voyageur, en 1886:
« les plaques de marbres se sont fendues, les noms qui y étaient inscrits sont devenus invisibles, les urnes qui décoraient les murs se sont effondrées. Enfin, ce qui semble incroyable, la porte d'un caveau s'est brisée, elle n'a pas été remplacée et le caveau est actuellement béant. La garde du cimetière est confiée, depuis longtemps, à un Polonais, qui sachant qu'il n'est surveillé par personne, a fait un étrange abus de l'enclos funéraire: il a planté des légumes dans ce cimetière et il l'a transformé en un jardin de rapport !
M. de Vogué racontait qu'il avait vu une vache paître tranquillement l'herbe qui a poussé sur les tombes. »
En 1888 également, un voyageur, Mr. Napoléon Ney, est désolé du manque d'entretien: maison du gardien inhabitable, mauvaises herbes dans les allées, ronces et ortis en pagaille. En 1889, 12000 francs ont déjà été utilisés pour les rénovations les plus urgentes du cimetière. Mais le ministre de la Guerre demande encore 32000 pour terminer les travaux.

La 1ère Guerre Mondiale n’affectera pas le cimetière, ni la Révolution Russe et la guerre civile qui suit. En 1936, il y a encore un gardien sur place, Joseph Rave, lui aussi ancien vice-consul de France.
La 2nd Guerre Mondiale va causer des dommages au cimetière. Des obus détruisent deux des cryptes, et le mausolée est criblé d’impacts. Le gardien, Nikita Andreevich Dorokhin, et sa famille se réfugient dans les cryptes lors des bombardements. Cependant, le lieu reste toujours en relativement bon état à la fin de la guerre.

Mais avec la Guerre froide arrive les difficultés. Nikita Andreevich Dorokhin, le dernier gardien, décède en 1958. Déjà, le cimetière français avait fait l’objet de vols et de dégradations. Ceux-ci vont s’amplifier. L’endroit, abandonné devient une carrière de pierres : les bâtiments, la majeure partie de la clôture, le mausolée, les cryptes sont en partie démantelés pour leurs matériaux.
Puis, le coup de grâce en 1982 : un responsable local de Sébastopol ordonne la destruction des derniers vestiges du cimetière, de ce qu’il restait de la chapelle et des cryptes. Le cimetière devient un terrain vague….

Le Mausolée central, dégradé, avant sa destruction en 1982.
Source: Ivanov Valery Borisovich

Cryptes à l'abandon, avant leur destruction en 1982.
Source: Ivanov Valery Borisovich

Heureusement, en 2002, un projet est lancé pour rebâtir sur le lieu même du cimetière, un monument en mémoire des soldats qui reposent toujours sous terre. Déjà, en 1992, une cérémonie s’était tenue avec l’inauguration d’un petit mémorial. Mais là, le projet est plus ambitieux. Une stèle centrale est érigée sur les lieux de l’ancien mausolée, et les anciennes cryptes sont marquées de plaques de marbre portant le nom des unités regroupées dans les fosses communes. L’ensemble est repaysagé et fermé par un muret de brique surmonté d’une grille.

Nouveau cimetière français, en 2015.
Source: Юровский Александр, Wikimedia Commons

Ce nouveau cimetière, payé par la France, est inauguré en 2004. Puis oublié. Il faut attendre 2009 et l’escale de la frégate française « Jean de Vienne » pour que des bénévoles, sans moyens, décident d’entretenir pour l’occasion le cimetière. Pour éviter que le site ne soit de nouveau abandonné, en 2011, un accord est trouvé pour que l’Etat français (par le biais du Souvenir Français j’imagine) prenne en charge l’entretien du cimetière.

Stèle centrale, à l'endroit où se dressait le Mausolée.
Source: Юровский Александр, Wikimedia Commons

En 2012, alors que des travaux ont lieu, sont découvert environ 150 corps, des ossements, datant du XIXe siècle, de la guerre de Crimée. Des boutons de bronze retrouvés sur un des corps semblent faire apparaître qu’au moins un soldat est français, du 39e régiment d’infanterie de ligne. L’emplacement de la fosse commune, près de la baie de Kamiesh (cf. la carte au début de l'article) où se trouvait un détachement français et des hôpitaux militaire, confirme selon les spécialistes que les corps retrouvés sont ceux de soldats français. Il est alors prévu de les enterrer dans le cimetière militaire français.

Ossements probablement de soldats français retrouvés
dans une fosse commune en 2012. Source: Le Télégramme

Jusqu’en 2014…

La Russie, avec l’appui de la plupart autorités locales, prend possession de la Crimée toute entière, dont Sébastopol. La France ne reconnait pas l’annexion de la Crimée. Les liens sont rompus, le cimetière n’est plus entretenu. Il tombe en friche. Et dans l’oubli.

Visite de députés français en 2015, dont Thierry Mariani.
Source: AFP/Max Vetrov

Sauf pour quelques politiques (populistes) français pour qui les voyages en Crimée sont une façon de montrer leur attachement à la politique russe de Poutine.
En mai 2015, François Asselineau se rend en Crimée, et en « profite » pour se plaindre de l’état d’abandon du cimetière français. En juillet 2015, juillet 2016 puis mars 2019, Thierry Mariani et d’autres députés voyagent en Crimée pour dénoncer les sanctions européennes contre la Russie. La visite du cimetière français est un incontournable de ces voyages hautement politique. Au moins, leurs visites ont le mérite d’empêcher, pour le moment, le plus grand cimetière français de l’étranger de sombrer une nouvelle fois dans l’oubli.


Plaques au dessus des anciennes cryptes, détaillant les unités enterrées.
Source: Twitter de Thierry Mariani

Quid des ossements des soldats français retrouvés en 2012 ? Apparemment, ils attendraient dans des sacs plastiques conservés au Musée de la défense héroïque et de la Libération de Sébastopol, que l’histoire commune et le souvenir dépassent les tensions politiques.

News: le 3 octobre 2020 ont été enterrés les 150 soldats français retrouvés près de la baie de Kamiesh.


Combien de français sont enterrés au cimetière français de Sébastopol ?

On trouve aujourd’hui assez souvent le chiffre de 95.000 français enterrés dans le cimetière. Mais ce chiffre est peu probable : c’est la fourchette haute des estimations des pertes françaises, et cela voudrait dire que chaque français morts a été trouvé, enterré une première fois, puis déterré pour être finalement inhumé au cimetière français. C’est peu probable. D’ailleurs, le fait qu’on ait retrouvé environ 150 soldats français dans une fosse en 2012 tend à démontrer que tous les soldats n’ont pas été enterrés (pour des raisons diverses) dans le cimetière français.

Le Brigadier-Général anglais John Ayde, dans son ‘Report On Crimean War Cemeteries, December 1872’, datant donc d’avant la construction du cimetière, compte environ 28.000 soldats français enterrés en Crimée dans différents lieux. C’est ce chiffre que je juge plus probable que les 95.000 souvent mentionnés.


Source:
* Le Télégramme
* Ukrainevoyage
Ivanov Valery Borisovich

Edit du 05/10: ajout de l'enterrement des 155 soldats français retrouvés en 2012.

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