Depuis 2015, un livre atteint régulièrement les tops anglophones de vente de livres sur le débarquement de Normandie. Mais certains historiens tirent la sonnette d'alarme depuis un moment: cet ouvrage de témoignages, massivement vendu, ne serait en réalité que de la pur invention.
Seulement voilà, il est presque certain maintenant que l'ensemble des témoignages a été inventé de toute pièce. Des historiens britanniques et américains ont rapidement eu la puce à l'oreille à la lecture de l'ouvrage. Parmi eux, Giles Milton, auteur lui-même d'un ouvrage sur le débarquement.
Milton voulant en savoir plus, trouvant les témoignages trop "parfaits" décide d'essayer de contacter l'auteur. Problème, il ne trouve aucune personne se nommant Holger Eckhertz, ni en Grande-Bretagne, ni en Allemagne. De même, il ne trouve absolument aucune trace de Dieter Eckhertz, le grand-père journaliste. Il décide de contacter l'éditeur; DTZ History Publication, mais là-aussi, surprise, elle n'existe pas, pas plus que l'entreprise qui aurait effectué la traduction. Cela commence à faire beaucoup.
D'un point de vue du contenu, Milton tente de croiser le nom de certains soldats allemands mentionnés avec les sources et les témoignages déjà publiés. Rien, aucune correspondance. Un historien belge, Carl Rymen, décide de pousser les recherches sur l'identité des soldats, et se focalise sur les hommes de la 716. Infanterie-Division. Là encore, rien. Aucune correspondance entre les noms de soldats qui témoignent dans l'ouvrage, et les archives allemandes.
L'historien Jonathan Ware a pris le temps de parcourir certains des témoignages et livre aussi son impression: un des soldats sait reconnaitre les avions et les armes alliés parfaitement, se souvient des détails violents de la mort de ses camarades, mais le témoignage ne donne jamais le nom de l'officier qui l'accompagne, et ne précise jamais le lieu des combats, autre que la "péninsule du Cotentin". Il tombe même sur des SS le 6 juin, dans le secteur d'Utah (les premiers SS n'arriveront dans le secteur américain que plusieurs jours plus tard), voit des parachutistes américains exécutés, les mains attachés dans le dos (sûrement par les SS selon lui), mais dont les corps seront détruits par des explosions de rockets de Thunderbolt.
Le témoignage contraste avec beaucoup d'autres, bien attestés ceux-là, dans lesquels les soldats allemands se souviennent parfaitement des lieux des combats, des noms de leurs camarades et officiers, mais n'entrent que peu dans les détails et ne mentionnent que rarement des actions violentes ou notables. Un autre témoignage est celui d'un soldat déployé à Vierville (Omaha Beach) lors du débarquement. Aucune mention de ses camarades, un témoignage rempli d'actions, de détails macabres, d'explosions à coup de canons de 88 et de MG42 dans tout les sens, à rebours complet de tout les autres témoignages de vétérans allemands d'Omaha.
Devant toutes ces analyses et critiques de la part d'historiens, personne, ni l'auteur ni l'éditeur (qui, encore une fois, sont inconnus et introuvables) n'ont réagi.
Le livre d'Holger Eckhertz doit donc être vu comme un ouvrage compilant de faux témoignages de soldats allemands. La découverte de cette fraude intellectuelle pose beaucoup d'autres questions (qui l'a réellement écrit ? et pourquoi ? L'appât du gain ?) mais met en lumière l'importance de garder un œil critique sur les livres d'histoires, notamment certains ouvrages aux titres alléchants et aux thèmes porteurs.
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