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Combats de la Croix-Couverte et de Saint-Michel

Le 25 mars 1796. Haut-Anjou. Dans le nouveau département de Mayenne-et-Loire, futur Maine-et-Loire, une colonne d'environ 300 soldats républicains, des chasseurs belges, quitte la commune du Tremblay en direction de Candé. Au même moment, dans les futaies de Beauvais, près de la Lande de la Croix-Couverte, une troupe de près de 1500 chouans se camouflent, informée du départ de la colonne républicaine, prête à l'embuscade. 

Embuscade de chouans lors de la Chouannerie.
Embuscade de chouans. Peinture d'Evariste Carpentier, vers 1883.

Cela fait maintenant 3 ans que les troubles ont commencé dans le Haut-Anjou. Aux tensions de 1792 se sont succédés les premiers affrontements l'année suivante. Après l'échec de la Virée de Galerne, la chouannerie commence réellement début 1794. Malgré une paix signée à la fin de cette même année, les affrontements continuent et la chouannerie prend de l'ampleur avec en 1795 le débarquement d'émigrés qui tentent d'organiser l'insurrection. 

Parmi ceux qui en font parti, Louis d'Andigné. Revenu en 1795 en France après avoir émigré, il a été nommé adjudant-général de l'Armée catholique et royale du Maine, d'Anjou et de Haute-Bretagne. Un nom pompeux pour nommer les troupes royalistes, les chouans, d'une partie de l'Ouest. D'Andigné rejoint sa terre familiale près de Segré. Dans ce canton, les chouans sont commandés par Mathurin Ménard, dit Sans-Peur, un ancien tonnelier de 30 ans, qui combat les armées de la République depuis 1793. 

Portrait de Louis d'Andigné après la Chouannerie
Portrait de Louis d'Andigné après la Chouannerie.

Sous cette nouvelle impulsion, les affrontements reprennent. Après une défaite à Saint-Gemme d'Andigné le 1er février 1796, Louis d'Andigné se rend compte du peu de fiabilité de ses hommes. Il décide de créer des compagnies de chasseurs, des compagnies d'élites qui puissent servir d'exemple et de motivation au reste de la troupe. Il en commandera une, tandis que François-Armand d'Avoynes commandera la seconde. Un nouveau combat près de la commune d'Andigné vers le 8 mars, et un autre à La Perrière le 14 démontre le succès de cette idée, mais un affrontement ultérieur, à La Membrolle, est décevant.

Le combat de la Croix-Couverte

Le 24 mars 1796, les chouans d'Andigné attendent en vain une colonne républicaine qui devait se rendre à Bouillé-Ménard. Ils apprennent qu'une autre colonne se trouve au Tremblay et qu'elle se dirigera le lendemain à Candé. La décision est prise d'aller l'embusquer. Les chouans se mettent alors en route. Le soir venu, ils s'arrêtent dans une large ferme non loin du lieu prévu pour l'embuscade (peut-être le Grand-Beauvais?). Les bœufs qui accompagnent les chouans ayant été égarés, il n'y aura donc pas de viande pour rassasier les troupes, et cela inquiète d'Andigné. Mais ce jeudi 24 mars, c'est le jeudi saint.
« Personne de nous ne voudrait manger de viande demain, au jour sacré où le Christ est mort pour nous, n'est ce pas mes amis ? »
L'excuse d'Andigné fonctionne, tout le monde acquiesce.
« M. l'abbé Chauveau, aumônier de la division Sans-Peur, bon ecclésiastique, d'une conduite exemplaire, homme sensé et raisonnable, me dit tout bas : – Cette décision est bien sévère, 'monsieur – Je n'ai pas de viande, mon cher abbé, lui répon- dis-je. »
Le lendemain matin, d'Andigné et ses hommes se sont embusqués dans les hautes futaies qui longent le chemin vert, au nord du Grand Beauvais, en face ou non loin du moulin de la Croix-Couverte. 

La Croix-Couverte près du Tremblay, chemin creux, lieu de l'embuscade des chouans.
Lieu présumé de l'embuscade. Les chasseurs belges se dirigeaient probablement vers le chemin à gauche de l'image, tandis que les chouans s'étaient embusqués vers la droite

Les chasseurs belges, au nombre d'environ 300, partent du Tremblay tôt le matin. Rien ne permet d'en dire plus sur ces hommes. Ils n'ont laissé presque aucun témoignage de leur présence dans le Haut-Anjou. C'est avec peine qu'on trouve un léger témoignage dans les registres municipaux de Candé lorsque le 20 avril 1796, un dénommé Etienne Cassin, sergent au 2e bataillon de tirailleurs belges, déclare que sa femme, né à Namur, a accouché d'une fille, Reine. Un camarade, Nicolas Vooge, du canton de Bruxelle, en est le témoin. L'histoire se termine tragiquement pour le couple, avec le décès de leur nouveau-née 15 jours plus tard. Etienne Cassin et Nicolas Vooge ont, peut-être, participé au combat quelques semaines plus tôt.

Les chasseurs belges empruntent en ce matin du 25 mars le chemin de Montfoleur vers Challain, une avant-garde reconnaissant le terrain, par peur des embuscades, à juste titre... . Vers 8h du matin, l'avant-garde républicaine, de peut-être 80 hommes, arrive au carrefour du chemin de Montfoleur et du chemin vert, à droite des chouans embusqués. Ce n'est pas ce qu'avait prévu d'Andigné, mais qu'importe. Le signal est donné.

La Croix-Couverte près du Tremblay, chemin creux, lieu de l'embuscade des chouans.
Route et position possible des belligérants.

D'un seul coup, les futaies et les haies environnantes résonnent d'une violente fusillade. Les chasseurs sont surpris, hésitants. Ils reculent lentement. Les chouans ne veulent pas laisser à l'ennemi le temps de se reprendre. A peine la première salve tirée, des centaines d'hommes se ruent sur la colonne républicaine. C'est la panique dans les rangs des Bleus. Leur retraite se transforme en fuite. Les chouans les poursuivent pendant une heure. Une quarantaine de chasseurs ont perdu la vie contre seulement deux chouans, dont Giraud, « très brave officier que j'avais amené d'Angleterre et que je regrettais beaucoup » selon d'Andigné.

La Croix-Couverte près du Tremblay, chemin creux, lieu de l'embuscade des chouans.
Monument du Souvenir Vendéen inauguré en 2011 en souvenir du combat et des victimes de la Croix-Couverte.

Combat de Saint-Michel

La nouvelle arrive aux oreilles de l'adjudant-général Dhalencourt. Arrivé à Segré depuis fin janvier, il n'a eu de cesse de tenter de surprendre les chouans pendant des jours. D'un caractère violent, porté sur la boisson, ses troupes ont acquis une mauvaise réputation à force de pillages et d'exécutions. L'occasion de rencontrer les chouans pour de bon est trop bonne. Il prend avec lui les chasseurs de la demi-brigade de l'Allier et des chasseurs de Cassel et se dirige vers les environs de l'embuscade.

Carte du XIXe siècle des environs de Saint-Michel. Le manque de précisions dans les sources ne permettent pas de situer précisément le lieu des combats. Plusieurs ruisseaux au nord et à l'est du bourg peuvent correspondre au ruisseau profond indiqué par d'Andigné, tandis que le château et la prairie marécageuse qu'il mentionne se trouve à sud du centre du bourg, sous la croix noir indiquant l'église.

Le lendemain, le 26 mars, la troupes chouanne est fortement réduite. La plupart des hommes se sont dispersé, chaque compagnie retournant dans sa paroisse. D'Andigné n'a plus qu'environ 500 hommes avec lui, dont ses deux compagnie de chasseurs. Il s'est replié sur Chanveaux, non loin d'une forêt. Apprenant l'arrivée des Bleus, ses troupes se portent en avant du village de Saint-Michel et les chasseurs de d'Avoynes engagent le combat. L'après-midi se termine. Les républicains doivent traverser un ruisseau profond un à un à l'aide d'une planche mais ce-faisant, arrivent à contourner les chouans sur leur droite. Des combats au corps-à-corps éclatent. Un certain René Duchesne d'Armaillé, un cavalier, sauve la vie du Capitaine Besnier en le dégageant à coups de sabre des mains des républicains et en l'entrainant à la queue de son cheval. D'Andigné décide de reculer. Le voyant faire, ses hommes décident d'en faire autant, et s'éparpillent rapidement dans la campagne environnante. D'Andigné et un de ses hommes contournent le château de Saint-Michel par le sud, à travers une prairie marécageuse et se mettent hors d'atteinte des troupes républicaines qui n'iront pas plus loin, peut-être par peur d'une embuscade. 

Les deux camps exagèrent les pertes de l'autre. Dhalancourt parle de 60 chouans tués, quand d'Andigné ne parle que de 6, dont Henri Bobard, ancien procureur du roi au Présidial d'Angers et ancien de la Vendée. De même d'Andigné mentionne 30 républicains tués alors que Dhalancourt évoque trois chasseurs de Cassel et trois volontaire de la demi-brigade de l'Allier tués et une dizaine de blessés.

Château de Saint-Michel et Chanveaux
Vestiges du château de Saint-Michel.

Dans la confusion du combat, dans une guerre où la population locale est vue, parfois à raison, comme un soutien aux rebelles royalistes, au moins trois hommes de Saint-Michel-et-Chanveaux sont tués par les troupes républicaines. Leurs noms paraissent dans les registres de la commune :

* Jacques Haulbourg, laboureur, âgé de 84 ans, tué dans le jardin de sa maison du bourg de Saint-Michel du Bois, à cinq heure du soir, par les républicains qui étaient « à la poursuite des chouans ».

* Jean Jallot, âgé de 38 ans, tué dans la maison de Claude Brillet, situé au Haut Houssay, à quatre heure du soir, par les troupes républicaines .

* Jacques Poilièvre, couvreur en ardoise, tué par la troupe républicaine, le prenant « mal a propos pour un chouans ».


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